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Oraisons funèbres
Nous rapetissons nos vivants, nous
agrandissons hors mesure nos morts, des fanatiques deviennent penseurs , et les
pitres deviennent des exemples. La mort est une douleur pour les personnes
proches, sentiment respectable. Mais pourquoi devrions nous tous souffrir en
supportant les relents intellectuels de nos défunts publiques.
Jean Paul Sartre J'ai honte des regrets
dévots que soulève la pensée de Sartre parmi nos gens de plume, de micro, de
caméra. Sur le trottoir de
gauche, comme celui de droite, les putains sont respectueuses. Ni son
intelligence, ni sa puissance créatrice, ni ses talents, ni son génie dont ne
resteront, par la loi des choses, que des œuvres détachées du temps, c'est-à-dire
des œuvres d’art, ne me feront oublier que Sartre fut l’exemple le plus
abouti de la trahison des clercs. Il fit sa lucidité
esclave de ses partis pris absolus. Il préféra ses généralités aux faits, ses
vérités au réel. Il prêcha l’intolérance et il aima la haine. Comment ouvrir
les chemins de la liberté avec une mauvaise foi passionnée ? C’est ce casse tête qui fut son spectre. Non, je ne puis oublier
qu’il se voulut le principal introducteur de la guerre civile dans la vie
culturelle. Tout esprit rétif à la
mouvance marxiste était, une fois pour toutes, réputé par lui de salaud.
Sartre a connu bien des errances, mais il n’a jamais cessé de tenir pour
lumière et délices les horreurs et les outrances de la guerre civile. Il
écrivait en 1960 : « Un anticommuniste est un chien, je ne
sors pas de là, je n’en sortirai plus jamais. ». Et il déclarait avant
sa mort : « du moment que je dis droite, pour moi ça veut dire
salaud ». |
Je ne pense pas être de
droite ; mon cœur en doute. Mais si comme l’a prétendu Sartre, c’est
l’antisémite qui crée le juif, la constante injure faite par lui à toute
pensée distante de la scolastique gauchère m’aura , avec bien d’autres, déporté
par moment de force à droite. J’ai lu qu’il aura été
le maître à penser de toute une génération. Je tiens à porter une vue
différente. Toujours, nous respectâmes une névrose aux sources de sa révolte,
et sa révolte eut de quoi nous révolter. Nous lui devons d’avoir tenté
malaisément d’exister dans un pays où, par lui, l’activité littéraire a été
soumise aux dégradations du fanatismes. Cette gerbe de vérités tristes
manquait à sa tombe. Je la dépose en mémoire de tous ceux que le parti
intellectuel dont il fut l’éminence repoussa dans les ténèbres extérieures,
oppressa, dévia, désola. |
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Coluche Je me souviens. Je
regardais à la télévision, des foules se pressaient aux portes des
music-halls. Les jeunes portaient l’uniforme. Je veux dire qu’ils étaient
tous vêtus en néo-clochards. On devinait que les moins jeunes, pour leur
standing moral, avaient endossé, au sortir du bureau leur débraillé du
week-end : c’est, paraît-il, la tenue de gala des hommes libres. Rien de
peuple dans ce ramassis. Tous ces gens composaient une plèbe. Mais une plèbe
de la pire espèce : une plèbe snobe. Le snobisme de l’avilissement.
Cette foule s’offrait, pour un prix élevé, un plaisir bas. Elle allait
savourer Coluche. Ces français
appartenaient à l’une des nations les plus riches et les plus libérales du
monde. Ils battaient le record universel des vacances. Et s’ils souffraient,
c’était principalement de suralimentation. Ils se rendaient à ce spectacle pour
communier avec le peuple en révolte sous les espèces d’un salopard habillé en
salopette. Ils venaient témoigner de leur bonne conscience révolutionnaire,
sans compter les bonheurs du rire gras, en faisant milliardaire un pitre. Ce
pitre ne manquait d’ailleurs pas de sincérité : « j’fais mon blé
avec les cons qui raquent pour v’nir me voir ». Il ne manquait pas non
plus de talent. D’une grossièreté inégalée pour son époque, il incarnait avec
naturel, non le peuple, mais la canaille. S’il y a une fascination de
l’abject, Coluche fascinait. Et enfin une mode le portait, faisait sa
fortune. Cette mode était celle de toutes les décadences. Cette mode
inversait les valeurs, elle mettait le bas en haut. Cette mode voulait que
l’inculte, le laid, le bête, le méchant, soient,
dans une nation, ce que l’histoire produit de plus libérateur. Coluche
libérait, il libérait l’égout. |
Ce penseur public, qui
n’avais jamais ouvert un livre « moi, j’lis la vie », avait exprimé
l’essentiel dans une interview recueillie pieusement dans un
journal satirique « moi j’veux emmerder personne, je profite juste de
mon succès pour emmerder ceux qui nous font chier ». Les puissant,
toujours salauds Les riches, toujours voleurs. Les gendarmes, toujours
assassins. Le monde est si dégueulasse que s’y conduire en porc est une
vengeance. On connaît la chanson. Elle est vieille comme l’humanité. Les voyous
l’ont toujours chantée. Coluche l’éructait . C’était sa nouveauté « ça
me rapporte tant de pognon que j’sais même plus quoi en foutre » Nous vivons dans une
société singulière. La vulgarité ne monte pas du peuple. Elle vient du dessus
du panier. J’emploie à dessein le mot : panier. Il s’agit en effet de
marché des orienteurs de goût et d’opinion cyniques. Les foules que je voyais
à la télévision, cette plèbe snob, passe à leurs yeux pour le peuple. Ils y
ont leurs amis, leurs penseurs, leurs mentors, leurs complices. Ils testent
cette écume pour juger du pays. Plaise aux dieux que
le prince s’indigne de ces excès de bassesse ! Montherlant souhaitait un
gouvernement qui eut le courage d’édicter des lois contre la bêtise, et qui
interdit des œuvres et des propos, non pour délit d’opinion, mais pour délit
de vulgarité. Il est vrai que Montherlant était assez peu démocrate. Mais je
me prends tout de même à rêver d’un secrétariat d’état à la qualité de
l’esprit. |
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