Accueil     Editos     Textes     Inexploré     Citations     Humour     info

 

Le manuel du parfait petit secrétaire commercial 

ou onze façons de  répondre à une réclamation sur un colis qui n'est pas livré

(par Jacques Sternberg planète 23 - 1965)

 

ANTICIPATIVE

 

 

 

 

 

  Cher Monsieur ,

 

  Par le courrier qui doit arriver dans le courant de la semaine prochaine, nous apprendrons avec regret que le colis qui vous a été envoyé hier ne vous sera jamais parvenu.

  Comme nous tenons volontiers compte de toute réclamation future, nous allons faire dès aujourd'hui une réexpédition du colis en question. Vous recevrez donc d'ici quelques jours le colis attribué en remplacement de celui qui doit se perdre demain en cours de route.

  Bien entendu , il est tout à fait inutile de nous envoyer une lettre de remerciement, nous l'avons déjà reçue également et nous vous en remercions infiniment.

  Par la pensée qui implique surtout l'avenir, nous vous adressons nos sentiments les plus cordiaux.

 

 

NEGROIDE

 

  Monsieur Client,

 

  Tu dis toi grand cher client à moi avoir jamais pas reçu le colis que nous avoir toi envoyé déjà si longtemps dans le auparavant du passé lointain. Nous pourtant avons gardé le mémoire ému d'avoir transmuté le paquet dans le si belle administration nationale de la postation qui nous assurait pouvoir délivrer le dit paquet dans l'enthousiasme le plus meilleur.

  Donc moi je dis à toi que respectueusement avoir été cordialement désolé de voir que toi pas recevoir ce que tu à nous demandé de recevoir et de l'envoyer à toi le plus rapidement vite du possible.

  Tout cela est grande mauvaise erreur que moi vouloir affablement envoyer autre colis en postation pour que toi vite oublier le terrible malheur du pas recevoir du colis commandé et je veux espérer que toi tu aurons l'immense bonheur et reconnaissance de le recevoir avec vitesse.

  Je te envoie. Monseigneur et vénéré client, les plus amples considérations de mon respectueux affection et très déférents souvenir pour toi qui avoir été déjà si bon pour nous.

 

METAPHYSIQUE

 

 

 

 

  Cher Monsieur, 

 

 

  Colis or not colis, that's the question. Votre lettre de réclamation , simple en apparence, suscite bien des sujets de perplexité.

  Vous nous dites ne pas avoir reçu le colis envoyé par nos soins. Mais le problème est-il limité à ce fait? Nous ne le croyons pas. Avant tout - et ceci implique diverses interprétations - qui nous prouve votre existence réelle? Ou, plutôt, qui nous dit que le nom inscrit sur l'enveloppe correspond bien à la réalité de votre existant en tant qu'enveloppe charnelle sur ce monde ? Voilà qui ouvre des perspectives très différentes de celles que vous proposez.

  Admettons un instant que ce colis ait été envoyé, non pas à votre nom, mais justement à votre "moi" intérieur dont la projection ne s'insère pas nécessairement dans le cadre de votre identité. Ceci expliquerait la perte du colis et nous dégagerait du complexe de culpabilité dont nous avons ressenti les effets à la lecture de votre exposé.

  Et le logique nous dicte d'autres arguments. En effet comment déterminer exactement si un colis peut réellement vous parvenir et si la perte fatale de n'importe quel colis n'est pas au contraire un des multiples reflets de votre destinée terrestre ? De ces questions, dieu seul connaît la réponse. Mais la réponse connaît-elle dieu ? Rien de moins certain.

  Par ailleurs, nous plaçant sur le plan de la raison pure, nous avons depuis toujours admis la vérité fondamentale du "j'expédie, donc j'arrive" qui souffre mal la contradiction. Tout cela n'engage personne, mais éclaire avec force notre conscience.

  Que nous soyons au fond d'un abîme de réflexion ne nous empêche cependant pas de vous adresser nos salutations les plus méditatives.

 

 

EPOUVANTEE

 

  Cher Monsieur

 

  Il devait être minuit.

  Le squelette de note directeur venait de faire sa ronde nocturne dans les cimetières réservés au personnel, quand une main décharnée et blême sortit du grand mur du bureau pour laisser tomber votre lettre dans la nuit.

  Horrible message! Quand on l'ouvrit, un effroyable hurlement sortit de cette lettre qui tomba instantanément en cendres, non sans dégager une nauséabonde odeur de pourriture qui parut ronger la table pour la dissoudre bientôt dans un bouillonnement visqueux d'énormes cloques purulentes.

  A cet instant précis, un orage éclata en plein bureau, surgissant du plus profond des armoires aux sorcières. Et soudain, la foudre anéantissait en un seule flambée tout notre fichier, n'épargnant que votre fiche qui me mit à grandit sous nos yeux terrifiés. Incompréhensible horreur ! Le fiche sortait sortait du monde de l'inerte, nous cernait déjà de toute sa masse flasque pour devenir une véritable coupole de carton rose. C'est alors que notre frayeur devint terreur puis épouvante et que nous vîmes la chose : dans les ténèbres bureaucratiques une sulfureuse lueur nous révélait que nous avions oublié d'enregistrer votre commande. C'était donc cela le secret : le grand esprit de l'erreur se vengeait. Et la vérité éclater en même temps que l'orage, plus lugubre encore.

  Les prunelles dilatées par la terreur, transis par la pluie, bravant le cauchemar et la tempête, nous avons rampé jusqu'à la porte et nous avons réussi à courir jusqu'à la poste pour vous expédier le colis demandé. Fatale décision! Nous ne devions pas revenir vivants de ce lieu maudit. Sur le chemin du retour le sinistre ténébreux nous attendait, ivre de vengeance. De ses griffes, il nous trancha la gorge.

  Ce sont donc nos fantômes qui vous envoient cette ultime lettre, de pauvres âmes en peine qui errent en quête du pardon et signent malgré tout :

 Vos sincèrement dévoués.

 

PIEUSE

 

 

 

  Cher Frère,

 

 

  Ciel ! Comment Dieu, en sa bonté infinie, a-t-il pu commettre pareil injustice ? Vous n'avez donc pas reçu l'humble colis que votre collégiale vous accordait en toute dévotion. A cette nouvelle impie, nous sommes tous tombés à genoux et nous nous sommes prosternés devant l'autel de l'expédition. Que les destins de la providence postales sont donc impénétrables ! Et comment nier la présence de Dieu devant de telles preuves de son lui Tout-puissant ?

  Mais rien ne sert de désespérer, il faut espérer autant. Nous avons prié et nous prions encore pour que ce colis vous parvienne. La voûte des bureaux a retenti de nos plaintes et de notre tristesse liturgique. Et nous irons cette nuit à Notre-dame-des-Postes demander au Saint Courrier qu'il nous prenne en pitié. Peut-être consentira-t-il à opérer un miracle et vous aurez ainsi la joie de retrouver bientôt dans votre bibliothèque le colis qui ne vous est jamais parvenu. Priez aussi, de votre côté. Les aveugles entendront. Les muets verront, et les colis finiront par se livrer à domiciles. Que notre cri demeure ! Nous ne serons jamais assez renverser les murailles et ramener dans le droit chemin les colis égarés.

  Espérons ! Chantons ! Que nos voix portent notre foi.

  Les facteurs nous entendront.

  Nous vous baisons pieusement le pied.

 

 

  

NON HUMAINE

 

  Cher Monsieur , 

 

  Venant d'arriver de la planète Tarengole, j'ai été heureux de trouver un emploi dans une entreprise bien terrienne et , de plus, honorablement connue.

Je suis également très flatté d'avoir été désigné pour répondre à votre lettre du 5.678 RZ trochapte, que nous traduirons par 3 janvier.

  Plusieurs points me paraissent cependant assez obscurs dans votre lettre que je lis avec plus de curiosité que de réel plaisir.

  D'abord, il faudrait s'entendre sur le sens su mot "colis" qui revient sans cesse dans votre lettre. Je suppose -mais je puis me tromper- qu'il s'agit de cet objet de forme tubulaire, presque piryndrique, que l'on emploie parfois en anastrèze pour faire une jonction asyntrique entre nôde de carbènes différents ? Mais d'après ce que vous dites, un "colis" ne semble pas exactement répondre à cette définition. Y'aurait-il quelque malentendu à de sujet ?

  Vous parlez aussi d'un "envoi postal", ce qui me paraît encore plus confus. Il nous semble plutôt que le "colis" en question aurait été envoyé, comme toujours, par diffraction entre le sbore spatial et l'urgue temporel, ce qui nous paraît d'assez loin le procédé le moins coûteux et certainement le plus efficace. Nous devons donc attendre vos précisions sur ces points car nous ne voudrions pas commettre quelque impair. D'autant plus qu'il est dangereux de manipuler un "colis" sans prendre les précautions élémentaires qu'exige la trigomancie.

  En attendant, nous buvons donc le verre d'ocyge en votre bonheur et vous demandons de croire à nos estancyles ptérofurges.

 

SYNDICALISTE

 

 

  Camarade,

 

  Nous avons reçu ta lettre dont la franchise nous plaît. Au moins, voilà une lettre qui dit ce qu'elle doit lire et ne s'embarrasse pas de formules bourgeoises.

  Ce qui nous ennuie assez dans cette histoire, c'est que ta réclamation semble viser particulièrement nos camardes les facteurs. Nous sommes bien d'accord pour affirmer que l'organisme national des PTT, vendu à l'état, n'est qu'une vaste gangrène du capitalisme qui ne vaut pas plus cher que n'importe quel ministère, mais les camarades facteurs sont de bons militants, fidèles aux meetings et toujours prêts à déposer le cachet postal quand le syndicat leur donne un ordre de grève.

  Et Justement, tu as un peu l'air de les accuser d'avoir perdu ton colis. Si jamais les patrons apprenaient cela, ils prendraient sans soute des mesures de représailles et c'est comme toujours sur le prolétaire que cela retombera. Il vaut donc mieux oublier toute cette histoire de colis perdu et ne plus en parler. C'est un service que tu rendras au Parti.

  Nos points fermés te saluent.

 

PUBLICITAIRE

 

 

  Cher Monsieur ,

 

 

  Le colis que vous attendiez ne vous est jamais parvenu ?

  Nous nous en réjouissons. Mais oui , nous osons le dire : car ce contretemps nous offre une occasion inespérée de vous prouver avec quelle efficience notre service de réclamations est organisé.

  Une réclamation nous parvient ? A peine enregistrée, la voilà déjà compensée. Quant au colis de remplacement que nous vous envoyons, vous le recevrez plus vite que vous n'auriez reçu le colis commandé. Car, prévoyant tout, ne négligeant rien, avant même de recevoir votre plaine, nous avions déjà envoyé avant-hier à votre adresse le colis que vous nous réclamez aujourd'hui.

  Comme vous le voyez, à notre société rien d"impossible et même Bariel expédie moins blanc que nous.

  Il nous est , croyons-nous, difficile de faire mieux. Mais le maximum est, vous le savez sans doute, notre minimum habituel. Cordialement à vous.

 

BIBLIQUE

 

 

 

 

 

 

  Cher Monsieur ,

 

 

 

 

  En ce temps là, le paquet que l'on avait envoyé par la poste s'était perdu et le courroux de Dieu était grand. Alors Jésus parla aux employés et leur dit : "Malheur à vous, scribes et parisiens, car vous fermez aux clients le royaume de la poste. Vous n'y entrez pas et ceux qui veulent y entrer, vous les en empêchez. Malheur  à vous, scribes et parisiens, car vous ressemblez à des sépulcres blanchis qui, au-dehors, paraissent beaux, mais qui au-dedans sont pleins de colis perdus et de toutes sortes d'impuretés. En vérité, je vous le dis, tout cela devra être remplacé."

  Tandis que Jésus sortait du bureau et s'éloignait, les employés s"approchèrent de lui pour lui faire admirer les bâtiments. Mais il leur répondit : "vous voyez tout cela. En vérité, je vous le déclare, il ne restera ici colis sur colis qui ne soit envoyé par retour du courrier. Alors seulement viendra la paix".

  Ainsi fut fait et Jésus, parlant encore en paraboles, dit : 'Car il y a beaucoup d'envois, mais peu d'arrivé".

  Alors Dieu prit la parole et dit : "Qu'il y ait des réexpéditions dans l'étendue des cieux pour séparer le jour de la nuit. Ils serviront de signes pour marquer les saisons et éclairer le visage des clients satisfaits."

  Et Dieu vit que cela était bien. Il les bénit et dit aux colis : "Croissez et arrivez"

  Et il en fut ainsi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DETECTIVE

 

  Cher Monsieur ,

  

  Avant même d'avoir ouvert votre lettre, nous avions flairé quelque mystère. L'enveloppe nous paraissait révélatrice. Notre intuition ne nous trompait pas.

  Résumons donc, pour commencer, les faits : vous avez commandé un colis. Vous l'avez payé. Vous l'avez attendu. Mais en vain : le colis ne vous est jamais parvenu.

  Il y a donc eu délit, incontestablement. Reste à savoir quel genre de délit comme il reste à distinguer les victimes des délinquants afin de sévir contre ceux-ci tout en dédommageant celles-là. Les coupables seront découverts, nous pouvons vous l'assurer. Nous veillons à tout, les yeux fermés. Et l'enquête est ouverte depuis que nous avons enregistré votre plaine.

  Sans retard, nous avons donc constitué un dossier à votre nom et nous avons déjà réuni quelques indices de grande importance.

  D'abord, il nous semble - et ceci est important - que si votre colis n'est pas arrivé à destination, c'est parce qu'il s'est perdu. Nous essayons de déterminer exactement entre quels points cet incident a pu se produire. Aucun témoin ne s'est encore présenté, mais comme le colis avait à parcourir une distance de 400 kilomètres en ligne droite, il nous faudra interroger tous ceux qui, le 5 et le 6 mars, se trouvaient dans cette trajectoire. L'un deux a certainement dû remarquer quelque chose de suspect. De toute façon, le filet se resserre et toutes les gares des environs sont surveillées. Le coupable, s'il y en a un, ne pourra pas nous échapper.

  Nous avons également soumis le personnel de plusieurs entreprises à un interrogatoire serré et nous avons trouvé sur une cheminée un cheveu blond qui pourrait bien constituer une preuve accablante. Reste à savoir de quoi.

  De plus, nous avons relevé hier matin les empreintes digitales des postiers de l'arrondissement et un de nos policiers, déguisé en boîte à lettres surveille de jour et de nuit un suspect.

  En attendant, cher Monsieur, à toutes fin utiles, nous vous envoyons nos sentiments les plus clairvoyants.

 

PS : Etant donné les circonstances, vous comprendre sans peine qu'il n'est pas question de vous adresser un autre colis avant de savoir comment le premier a disparu.

SCIENTIFIQUE AMERICAIN

 

  Cher Monsieur ,

 

  Notre service spécialisé de déminage des documents explosifs a transmis votre lettre à nos laboratoires où elle a été examinée avec la plus grande attention.

  Jusqu'ici nous nous sommes bornés à une étude qualitative des phénomènes, indiquant qu'en raison de leur instabilité lorsqu'on dépasse le point d'ébullition, il ne sera pas inutile de procéder à leur décaptage après analyse sommaire des fluctuations énergétiques sous la chaleur spécifique. Nous tenons cependant à vous signaler que le corps moléculaire et, par conséquent, le volume structural du colis que nous vous avions envoyé avait été soumis au test de probabilité, dit de "Kertsch" et que l'expérience nous avait révélé un noyau situé aux extrêmes limites de la stabilité permise si l'on se réfère aux données fondamentales de la propagation rectiligne. il est donc bien évident que si l'on admet que la variable-temps joue mathématiquement un rôle courbe par rapport aux variations d'espace, ce colis moléculaire n'aurait pas dû se perdre dans l'espace temps que nous avons pris l'habitude de supposer nôtre. Et même si l'on s'accorde à penser que le continuum spatio temporel est cylindrique par rapport à l'axe du temps et que la ficelle tubulaire du colis avait été givrée au préalable, il nous semble que la formule de projection f=k.MYT/d² garde toute sa valeur, même dans le cas  de grandes distances.

  Nous révisons de toute façon nos calculs et nous croyons qu'il nous sera possible, dès que nous aurons opéré la fission, de procéder à la transmutation d'un paquet d'énergie qui deviendra une entité autonome à fréquence bien déterminée, ce qui créera un nouvel invariant dérivé directement de la loi d'accélération.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Accueil     Editos     Textes     Inexploré     Citations     Humour     info